Néanmoins, je crains que ce devoir de mémoire ne tourne au matraquage. Matraquage qui risque de produire l’effet inverse à celui recherché.
J’insiste ! Ne pas oublier est primordial. Moralement, sans débattre ici de son efficacité, ce devoir est indispensable. Mais à présent on ne compte plus les productions, que ce soit pour le cinéma ou la télévision, littéraires aussi, traitant ce douloureux sujet, tirant sous les projecteurs des médias les heures les plus sombres de notre histoire. Il est à craindre que cette avalanche de sentimentalisme finisse par écoeurer, plus que par sensibiliser. Raviver la flamme du souvenir, c’est bien. En faire une sorte de bûcher pour un soi-disant négationnisme latent, c’est dangereux.
Soi-disant négationnisme, car notre pays abrite son lot d’ignorants fanatiques ou de nostalgiques du complot judéo-maçonnique. Mais la France n’est pas antisémite. Que les Français de confession juive se le disent : ils n’auront pas une vie meilleure en Israël, protégés par des miradors et redoutant à chaque instant les attentats. Je dis cela car beaucoup parlent de rejoindre la Terre Promise, celle-ci leur apparaissant tel un refuge merveilleux. Je les exhorte à défendre leur identité juive dans leur appartenance à la communauté française. En quittant la patrie qui est la leur, ils feraient le jeu d’une poignée d’imbéciles, dont on trouve des champions aux deux extrémités de la Méditerranée.
Après ce préambule, visant à lever toute ambiguïté sur le sens de mon propos, j’invite le monde à se révolter face à ce qui se passe en Palestine. Le sort que l’on y réserve aux Arabes est, j’ose le dire, un crime contre l’humanité. Je ne nie pas ici la légitimité de l’existence de l’Etat hébreu. Parce qu’il y eut la Shoah, et maintes autres persécutions dirigées contre les Juifs, en tous temps et en tous lieux, la création de l’Etat d’Israël était devenue indispensable. Mais les arabes de Palestine n’y sont pas moins chez eux. Ils n’étaient pas les occupants provisoires d’une terre que les Juifs entendent maintenant récupérer. L’histoire a fait de la Palestine une terre arabe, après qu’elle fut juive.
Pourtant tout est mis en œuvre pour contraindre les Arabes palestiniens au départ. Ils ne sont certes pas massacrés ou déportés, mais l’Etat hébreu a confisqué leur économie. Leur société est littéralement asphyxiée.
Deux exemples très concrets illustre ce phénomène. Le premier, la suppression du secteur bancaire dans les territoires occupés par Israël en 1967 ; le second, le fait que dans la bande de Gaza un million d’Arabes palestiniens vivent sur 60% du territoire, le reste étant occupé par... six mille israéliens ! Les Arabes vivent dans une cage, une prison à ciel ouvert, privés d’eau. Les autorités israéliennes espèrent sans doute que quand les Arabes n’auront plus aucune chance de survivre, et qu’ils n’auront plus la force de se battre, ils finiront bien par s’en aller.
En attendant, ils n’ont que les pierres et la dynamite pour se faire entendre. Je me dis chaque jour que si j’étais Palestinien, je serais terroriste !
Comment ne pas céder, lorsqu’on est Arabe de Palestine, à la tentation de la violence ? Sachant de surcroît que tous les gouvernements israéliens, au moins depuis l’assassinat d’Ytshak Rabbin, ont agi dans le sens d’une politique ségrégationniste. Le mur de fer et de béton qui se dresse entre Juifs et Arabes, parquant ces derniers, n’a pas été décidé par Ariel Sharon, mais par le précédent gouvernement travailliste (celui de M. Barak). Il semble alors évident que l’on sacrifiera désormais le processus de paix à l’avènement d’« Eretz Israël ».
Le plus monstrueux, c’est de constater que l’Homme semble définitivement incapable de tirer le moindre enseignement de son Histoire. Nous abattions un mur en 1989, à Berlin, dans la joie et l’enthousiasme, pour en élever un autre en Palestine, moins de vingt ans après ! Voilà qui relativise, soi dit en passant, l’efficacité du devoir de mémoire dont il est question autour de la Shoah.
Finalement, je ne veux pas que ce devoir devienne un instrument de diversion destiné à nous conditionner pour nous faire admettre le sort que l’on réserve aux Arabes de Palestine à long terme.
Car le groupe de pression sioniste qui encouragea les Occidentaux à soutenir les efforts entrepris pour la création d’un Etat juif au début du vingtième siècle, notamment représenté à l’époque par Chaïm Weizmann, n’a pas disparu, que se soit dans les milieux de la finance, au Congrès américain ou ailleurs, et pourrait à présent promouvoir l’avènement du Grand Israël, vieux rêve entretenu plus que jamais.
Je serais profondément dégoûté de voir une démarche sincère se transformer en délire de persécution visant à nous manipuler. Certain me taxeront de paranoïa, mais cette appréhension est légitimée par le fait que plus la politique de l’Etat d’Israël se durcit vis-à-vis des Arabes, plus on nous pousse à l’auto flagellation et à la recension de notre passé.