Interessé par le domaine de la stratégie militaire, notamment dans sa dimension logique, froide et raisonnée, j'ai depuis toujours été intrigué par les phénomènes reproductibles, immuables et totalement invariables selon les époques, qui régissent les situations d'affrontement.
Reproductibles, immuables et invariables; cela est facilement démontrable, puisque des oeuvres aussi célèbres que
l'Art de la guerre de Sun Tzu, ou
Le Prince, de Machiavel, restent encore aujourd'hui des références en la matière.
Quelle que soit l'époque, quels que soient les moyens technologiques à disposition, si les méthodes particulières évoluent ( par exemple avec l'armement ), les grandes lignes de la psychologie d'un affrontement sont étudiables de la même façon, car respectant toujours le même schéma.
Plus que des considérations stratégiques classiques, c'est içi le domaine psychologique de deux chefs d'armée lors d'un affrontement que j'ai voulu analyser, partant de l'idée que l'époque et le terrain du conflit ne modifient pas les grands principes.
Cette étude personnelle et amateuriste est fondée sur des observations, réalisées notamment sur des réçits et reconstitutions de batailles historiques, des parties d'echecs ( ou plus généralement de certains jeux de société ), certains jeux vidéos ( qui peuvent constituer de bons supports à l'étude de la stratégie ), ou même diverses situations de la vie quotidiennes, dans laquelle on peut transposer le terme de bataille à un simple conflit.
1- L'EVALUATION DU RAPPORT DE FORCE1.1- L'analyse de la situationAu début de tout accrochage militaire, il convient d'établir un plan de bataille, même sommaire, si on ne veut pas courir à la défaite ou, au mieux, le risque de subir des pertes inutiles.
L'élaboration du plan, si cruciale, ne se fait pas au hasard. Un plan n'est de qualité que s'ill prend en compte tous les paramètres: l'état de vos troupes, de celles de l'ennemi, la superiorité ou inferiorité numérique, la configuration du terrain, la qualité de votre armement par rapport à celui de l'adversaire, etc.
Ces considérations prises en compte, le plan sera conçu en fonction de ces facteurs. Mais, au contraire de l'IA moderne, seule chef d'armée capable de réagir de façon infailliblement logique et raisonnée, après avoir dressé un tableau de la situation, un général/joueur a déjà engagé la bataille psychologique avec son adversaire.
En effet, les résultats obtenus vont le mettre dans un état psychologique différent de celui qu'il avait avant de connaître ces paramètres. A ce niveau, ses capacités à rester lucide, et à résister moralement à un état des lieux extrêmement défavorable, par exemple, vont déjà être mises à l'épreuve; inexpérimenté, et s'apercevant d'une inferiorité numérique flagrante, un général aura tendance à paniquer. A l'inverse, voyant une supériorité numérique écrasante, il tombera dans un dangereux excès de confiance.
On peut donc dire que le combat commence avant même que la tactique entre en jeu: c'est la guerre des nerfs et du renseignement, le but du jeu étant de donner à son adversaire le sentiment que l'on souhaite qu'il ressente, afin qu'il adopte un plan qui nous convient. Cela peut passer par des tactiques de dissimulations de forces, pour diminuer la méfiance et la capacité d'analyse de l'ennemi, et/ou de mise en scène de sa propre faiblesse supposée. Ou encore, par l'exagération de ses forces.
Sun Tzu: « Il y aura des occasions ou vous vous abaisserez, et d'autres où vous affecterez d'avoir peur. Vous feindrez quelquefois d'être faible afin que vos ennemis, ouvrant la porte à la présomption et à l'orgueil, viennent ou vous attaquer mal à propos, ou se laissent surprendre eux-mêmes et tailler en pièces honteusement. »Sun Tzu: « Toute campagne guerrière doit être réglée sur le semblant; feignez le désordre, ne manquez jamais d'offrir un appât à l'ennemi pour le leurrer, simulez l'infériorité pour encourager son arrogance, sachez attiser son courroux pour mieux le plonger dans la confusion: sa convoitise le lancera sur vous pour s'y briser. » Si ces tactiques sont classiques, c'est parce qu'elles ont prouvé leur efficacité. C'est donc après analyse de tous les paramètres de l'affrontement qu'il possède que chaque général va logiquement déterminer la meilleure attitude à adopter: défensive, offensive, prudente, agressive...
De là, il concevra son plan de bataille en accord avec l'attitude générale qu'il compte choisir.
1.2- La cruciale relation de pouvoirL'avantage de prendre l'ascendant sur son vis à vis dans cette phase de la bataille devient donc évident. Prendre l'ascendant ne voulant pas dire ici avoir obligatoirement un rapport de forces favorable, mais simplement avoir determiné son attitude, puis son plan, en toute connaissance de cause; un général avisé dominera son ennemi quel que soit le rapport de force, car il aura adopté la meilleure attitude possible, et parviendra à faire adopter à son ennemi l'attitude, voire le plan, qu'il souhaite voir en face de lui pour en tirer parti. Il pourra donc deviner, au moins dans les grandes lignes, les coups qu'il va devoir parer.
Sun Tzu: « Sun Tzu dit: Il est d'une importance suprême dans la guerre d'attaquer la stratégie de l'ennemi. »Il va donc disposer ses troupes en conséquences, et appliquer un plan prévu pour prévoir, englober, et détruire celui de l'ennemi; car un adversaire dont on connaît l'état psychologique, que l'on domine donc, est prévisible.
Sun Tzu: « Celui qui excelle à résoudre les difficultés le fait avant qu'elles ne surviennent. »Pour faire un parallèle avec le sport, sachez qu'un match se gagne dans les vestaires; et qu'une bataille se gagne dans les heures qui la précèdent et dans sa préparation.
La connaissance est source de pouvoir.Quelques exceptions et nuances à ceci. Il arrive que lors d'un affrontement, la réputation d'un général soit déjà telle qu'elle puisse influer le cours de la bataille. Un Alexandre le Grand ou un Napoléon fera peur, quoi qu'il arrive; cela a ses avantages et ses inconvénients car, si sa propre réputation inspire la peur, l'ennemi se méfiera quoi qu'il advienne. Il faut donc, dans le cas où la réputation joue dans le rapport de force, la prendre en compte.
Si l'on est considéré comme novice, jouer sur le fait que l'adversaire se méfiera moins. Si l'on est considéré comme le plus fort, il faut à tout prix profiter de la domination psychologique immédiate que cela procure, et ne jamais laisser remettre en question sa superiorité en adoptant un comportement agressif attisant la peur et le respect du vis à vis.
Capacités principales requises pour mener à bien la première phase:
Anticipation, appréciation, réalisme, réflexion.Sun Tzu: « Une armée victorieuse remporte l'avantage, avant d'avoir cherché la bataille; une armée vouée à la défaite combat dans l'espoir de gagner. »2- L'EVOLUTION DE L'ETAT PSYCHOLOGIQUE AU COURS DE LA BATAILLE.Une fois la phase de préparation achevée, la bataille elle-même s'engage. Alors, les plans des deux généraux vont être confrontés. A l'échelle du raisonnement qui nous interesse, il s'agit plus d'une confrontation de plans qu'une confrontation d'armées; la bataille est logique, froide, et raisonnée, une partie d'echecs beaucoup plus qu'un pugilat désordonné. Laissons donc encore une fois de côté le moral des troupes, sujet plus souvent évoqué, pour étudier l'affrontement mental auquel les généraux se livrent par interposition.
Généralement, les premiers temps de la bataille sont l'occasion de constater l'efficacité ( ou non ) du plan mis en place. Il y a, selon les cas, trois possibilités.
- La victoire totale, évidente et incontestable. Le plan était bien conçu, le combat psychologique gagné, ou le rapport de force materiel trop important. Situation assez peu complexe, entièrement explicable par les considérations développées ci-dessus.
- La défaite immédiate et sans espoir de retournement de situation. Votre plan était d'une insuffisance navrante, vous avez perdu le combat psychologique; à moins que l'infériorité numérique n'ait été trop handicapante pour que vous puissiez y changer quoi que ce soit ( le tort revient aux diplomates, ou aux gestionnaires du royaume ).
- Le bataille s'engage et s'équilibre, promet de durer. C'est alors que la deuxième phase commence réellement, et le mental du général, déjà fort sollicité auparavant, tourne à plein régime.
C'est ici qu'entrent en jeu des capacités mentales quelque peu différentes de celles de la première phase.
La confrontation donnant lieu à un combat indécis, on en déduit que les deux généraux sont de valeur à peu près égale; ainsi que leurs armées ( supposons que ce soit approximativement le cas ).
Alors, si l'un veut gagner la bataille, il doit apporter une valeur ajoutée à son plan, le modifier de façon à pouvoir prendre un avantage décisif.
La tentation est grande, pour un inexpérimenté, de donner de nouveaux ordres et de modifier son plan en fonction de ce qui lui est opposé. Cela dépend de l'attitude qu'il a choisi d'adopter au départ ( offensive, défensive...? ), mais cette réaction est bien souvent une erreur; elle traduit en fait l'acceptation du mode défensif devant l'assaut de l'ennemi, et entérine la défaite dans le combat psychologique, même si cela est inconscient.
Lorsque l'on est obligé de reculer, ou de s'adapter à l'adversaire, le mental l'assimile toujours à une défaite, sauf si cela fait partie du plan de base, auquel cas le recul est prévu et joue un rôle précis destiné à reprendre l'offensive dans des conditions avantageuses.
Il faut, lors d'un choc indécis, garder à l'esprit que:
- Vous verrez toujours les offensives ennemies comme plus dangereuses que les vôtres, ainsi que vous verrez toujours vos lignes et vos hommes plus faibles que celles/ceux de l'ennemi.
- Le général en face de vous a exactement la même vision des choses, et a la même tendance naturelle que vous à voir beaucoup plus nettement ses chances de défaites que ses chances de victoire.
Par conséquent, il faut à tout prix, au lieu de reculer, continuer la bataille mentale à distance avec l'adversaire, se forcer à analyser lucidement la situation, et à prendre des décisons fondées sur la logique et non sur les sentiments ressentis qui, à cet instant, obscurcissent le jugement. Pour forcer la victoire, il faut forcer l'ennemi à reculer, et pas l'inverse: le dernier à tenir remportera la bataille.
Sun Tzu: « Il faut avoir pour principe que l'on ne peut être vaincu que par sa propre faute, et qu'on n'est jamais victorieux que par la faute des ennemis. » Pour emporter la décision, il faut donc impressionner l'ennemi. Pour le faire céder, il faut lui faire peur, lui donner le sentiment que vous êtes plus dangereux que lui, et que vous êtes en meilleure position que lui pour remporter la victoire. Pour la grande majorité des humains, et cela est paradoxal, le général se fondera sans en avoir conscience sur le comportement ennemi pour déterminer le vainqueur. Si vous adoptez un comportement offensif, que vous l'agressez, que vous prenez possession du terrain, l'ennemi, par prudence, reculera, entérinant sa défaite programmée, ou du moins sa retraite.
Sun Tzu: « Celui qui se défend montre que sa force est inadéquate, celui qui attaque qu'elle est abondante. »C'est là qu'interviennent certains principes d'execution du plan, et particulièrement la vitesse. Si le harcèlement de l'ennemi est continu, il aura l'impression de subir une pression intenable et fera retraite, même si les deux armées sont en réalité de forces égales.
Pareillement, la persévérance et la determination confirmeront l'ennemi dans l'impression que vous aurez pris soin de lui donner, celle d'un commandant inflexible qui ne renonce jamais même au prix d'un carnage. Un homme dont le mental est plus faible que le vôtre, ou sur lequel vous avez pris l'ascendant, préférera faire retraite plutôt que de risquer l'anéantissement de son armée en luttant contre votre "armée indomptable, mieux équipée, et plus hargneuse que ses troupes" / "personnalité inflexible, tactique fondée sur l'agressivité et la rapidité"; la deuxième option étant inconsciente.
Sun Tzu: « Se rendre invincible dépend de soi, rendre à coup sûr l'ennemi vulnérable dépend de lui-même. » Enfin, l'opportunisme est crucial dans un conflit indécis; j'y ajouterais l'audace et l'effet de surprise. Deux choses peuvent être totalement destructrices pour le moral aussi bien des hommes que du général: une manoeuvre completement imprévue et une manoeuvre incompréhensible de votre part. Destructrices parce que l'imprévu et l'incompréhensible font peur. Bien menées, des opérations de ce type en pleine bataille feront prendre peur à l'ennemi, qui aura tendance à prendre vos mouvements comme une menace bien plus dangereuse qu'elle ne l'est en réalité.
Il reste cependant important d'être lucide, et de s'en tenir à son plan initial, malgré les modifications toujours nécessaires que vous y apportez. Trop dévier de son plan disperse les troupes aussi bien que les objectifs, et se rendre compte que le front n'est plus qu'un total désordre dont vos objectifs principaux n'emergent plus que difficilement, voire plus du tout, peut être fatal pour le moral.
Un plan bien construit est donc crucial, et peut être salvateur si, au cours du combat, on prend la peine de le réétudier et de s'en souvenir.
Le plan est le garant de la lucidité, un antidote anti-panique auquel il convient de se référer fréquemment afin de vérifier la qualité et la cohérence de ses décisions. Si il est possible, et même conseillé, de ne pas appliquer rigidement ledit plan, il est souvent opportun de vérifier que les décisions et ordres donnés en cours de bataille ne sont pas en complète contradiction avec le plan général.
Capacités requises pour mener à bien la seconde phase:
Lucidité, improvisation, audace, détermination.En conclusion, laissons parler le Maître:
Sun Tzu: « Les habiles guerriers ne trouvent pas plus de difficultés dans les combats; ils font en sorte de remporter la bataille après avoir créé les conditions appropriées.Ils ont tout prévu; ils ont paré de leur part à toutes les éventualités. Ils savent la situation des ennemis, ils connaissent leurs forces, et n'ignorent point ce qu'ils peuvent faire et jusqu'où ils peuvent aller; la victoire est une suite naturelle de leur savoir.Aussi les victoires remportées par un maître dans l'art de la guerre ne lui rapportaient ni la réputation de sage, ni le mérite d'homme de valeur. »